La Gazette du STEVE N°16

Par Laurent LHERMITTE. Mars,Avril 2001
Email: lhermittelaurent@yahoo.fr

    Aujourd'hui 30 avril, le Steve est tranquillement mouillé par 12 mètres de fond en face d'une plage paradisiaque du groupe d'îles des Tonga dites Vava'u. Depuis Apia, capitale des Samoa indépendantes, une nouvelle équipière m'accompagne, Jessica. Mon amie est venue de Hawaii me rejoindre pour passer quelques mois à bord du Steve. Ensemble, nous avons visité Upolu et Savai'i aux Samoa puis l'île très reculée de Niuatoputapu appartenant au groupe Nuis des Tonga et enfin Vava'u. le projet pour les mois à venir est de passer par des îles inhabitées puis les Fidji d'où Jessica devra rentrer travailler puis enfin la Nouvelle Calédonie. Bonne lecture à tous.

Pourquoi les papas samoans racontent des histoires aux enfants le soir avant de dormir ?

   A force de rester ancré au milieu du port de Apia je sympathise avec les marins du ferry Lady Maoni qui 2 fois par semaine rallie Pago pago. Un des jeunes vient visiter le Steve et rêve pendant quelques minutes de longs voyages. Parfois, ils surveillent toute la nuit le ferry au cas où la houle se lèverait, ils m'invitent à partager leur repas, on boit le café assis sur l'immense porte passerelle du bateau. Chacun parle de ces expériences de marin, l'un a vu Marseille, l'autre le Havre... les samoans semblent très appréciés comme marins, ils sont calmes, patients et ne coûtent probablement pas très cher. Nous plaisantons et rions. Je suis intéressé par la vie en communauté dans les falés (toit de feuille soutenu par des poteaux.) . Ils m'expliquent que l'autorité des anciens est très respectée donc il n'y a jamais de querelle. Des rites régissent le lieu de vie et le partage de la terre. Un des jeunes me raconte que son père le soir conte des légendes sur les Samoa, c'est la transmission de la culture orale. A la fin du récit, il demande aux enfants s'ils ont tous écouté et compris. Lorsque personne ne répond les parents peuvent alors s'aimer en toute tranquillité !!!

 

Un peu de Vécu.

Pago-Pago - Apia

       Dès le large sous le vent du port on rencontre des tas de détritus. Il abrite visiblement une activité humaine intense... Pago-pago est un abri contre les cyclones, la mer entre dans une vallée un peu comme un fjord. En lisière, il y a d'un côté le port commercial, avec des centaines de containers empilés comme des morceaux de sucre, et en face l'une des plus grandes pêcheries du monde. D'ailleurs cela se sent ! Lorsque le vent vient de l'est, les odeurs de thon en boîte empestent toute la baie. 6 ou 7 bateaux usine de quelques milliards chacun sont à quai car le cyclone Paula est dans les parages. Je comprends pourquoi, depuis plusieurs jours, il est impossible d'attraper un poisson à la traîne ! Le mouillage pour les voiliers est au fond. Dès l'arrivée on doit s'amarrer à un vieux quai en béton de la longueur du bateau, pour que les officiels inspectent le bord et fassent les papiers. Ils débarquent d'un coup à 6, sortis de je ne sais où, comme la police dans les films américains ! Customs, immigration, agriculture etc... Craig est chargé des relations extérieures ; Son calme et sa diplomatie sont efficaces. Le plus drôle fut avec le capitaine du port que nous sommes allés voir 2 jours trop tard. On lui a fait croire que je ne comprenais pas l'anglais. Il nous sermonne, démontrant sa haute autorité, et sous-entendu pour calmer sa colère, quelques cadeaux seraient les bienvenus. Craig excelle en diplomatie. A la fin de son speech, notre truand de capitaine lui dit de ne pas traduire mais de se méfier car les Français sont têtus. J'ai failli répondre que ce n'était pas pire que les capitaines de port...

Nous visitons l'île en bus ou en auto stop. Les gens sont sympathiques, avenants et souriants. Nous découvrons de l'autre côté des montagnes des petits villages magnifiques au milieu d'une côte sauvage. Quelques randonnées se terminent parfois à la nuit. On fait l'avitaillement du bateau, des Emails, c'est gratuit à la bibliothèque. Nous rencontrons Hans et Judy sur Maluhia, un couple de septuagénaires extraordinaires avec une pêche d'enfer. Ils naviguent dans les parages depuis 20 ans et ont côtoyé B. Moitessier ! Au cours de bonnes bouffes sur nos bateaux, on se raconte plein d'histoires, c'est mieux qu'au cinéma ! La soirée débute vers 17h autour d'une bière ‘faite maison' par Hans ! On rêve et voyage dans l'espace et le temps ! Hans m'enseigne des tas de combines de vieux loups de mer, un soir je sors mes cartes du pacifique et il me décrit les lieux intéressants, dangereux, leurs anecdotes, les abris à cyclones etc...

Le 9 avril vers 18h30, après avoir cavalés toute la journée et taxés 50 dollars pour le douanier, nous levons l'ancre direction Apia. Le vent habituellement d'est est malheureusement à l'ouest ! Nous tirons des bords entre les grains et le long de la côte de Upolu. Nous arrivons le 10 vers 21h. l'entrée de nuit est un peu délicate, surtout lorsque l'un des feux de l'alignement est vert, mais toujours aussi exaltante ! Un nouveau lieu nous ouvre les bras, la musique des boîtes résonne jusqu'au bateau mais nous sommes trop fatigués pour sortir.

Apia - Matautu bay

    Je retrouve enfin ma plus fidèle compagne ; la solitude ! Ce samedi 10 mars nous allions partir pour Savai'i avec Craig lorsque juste à la sortie du port le moteur cale. Je cherche ce qui a pu se produire et pense qu'une feuille ou un plastique a bouché l'arrivée d'eau de refroidissement, il n'y a pas de vent on a 100 m avant de toucher le récif, c'est cool. Craig plonge sous le bateau, le voyant de température est dans le rouge, je fais un essai de démarrage et le Volvo redémarre, ouf ! Du coup je change d'avis et fait demi-tour. Il est trop tard pour arriver de jour. Craig est donc parti visiter Savai'i en avion. Je reste seul au mouillage dans la baie de Apia. J'ai ainsi plein de temps pour faire juste ce que je veux, lire, écrire et surtout travailler sur le Steve. Il y a plein de petites choses à réparer, à réviser après ces 2 mois de navigation. J'ai appris à mes dépends que, par la loi de l'emmerdement maximum, si on laisse plusieurs petites choses défaillir ça peut conduire à de gros ennuis ! Donc je reconnecte la prise allume- cigares, la lumière du compas, refait des marques sur la chaîne de mouillage, je fais un grand ménage et surtout je recolle les annexes ! Galère ! Dans la baie les gens vont tous les jours pêcher sur de petites pirogues à balancier, j'ai envie d'en acheter une comme annexe, j'en ai marre de recoller les Zodiac ! Quand je pense à mes belles annexes: l'une perdue, l'autre volée !

    Les habitants des Samoa indépendantes sont apparemment financièrement plus pauvres que sur l'île de Tutuila. Apia me rappelle un peu une petite ville d'Amérique du sud. Le vendredi et le samedi soir on y fait " la fête ", les gens boivent, dansent, se rencontrent dans les bars sur le front de mer ou dans les discothèques. En revanche à minuit sonnante la musique s'arrête, les lieux se vident. Après un tour de l'île en bus on remarque que personne autour d'Apia n'a de voiture. La petite route étroite est bordée tout le long d'habitations de falé et de plantations. La plupart ont un cheval accroché à un piquet dans le jardin, les enfants jouent sur les étendues d'herbe verte.

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    Je reste une semaine couché dans le bateau avec 40 de fièvre dûe à une bonne bronchite, les antibiotiques me remettent d'aplomb juste à temps pour accueillir Jessica. Nous restons encore une semaine à Apia, profitant de la ville, de son superbe marché, des petits restos pas chers où l'on déguste le Sachimi. Nous rencontrons un mec sympa ; Julien qui est en stage pour étudier la vie des samoans. Nous avons plein de choses à nous raconter mais il faut bien partir même en regrettant de n'avoir pas fait plus connaissance.

    Le 9 avril 15h j'arrive enfin à décoller de cette ville, après avoir fait les papiers, récupéré le moteur hors-bord et un bloc de plongée qu'on a pu faire remplir. Nous arrivons le matin du 10 dans Matautu bay sur Savai'i île voisine de Upolu après une navigation côtière super tranquille.

Matautu bay Asa'u

        En fin d'après-midi, après un délicieux pique-nique sur la plage Jessica et moi partons pour une petite marche sur la grève. Des Samoans sont là assis ou accroupis dans l'eau. Nous les saluons et approchons curieux de voir ce qu'ils ramassent. En fouillant le sable sous les grosses pierres on trouve une espèce de coque aux reflets violets. Tout en cherchant les coques nous sympathisons avec Vala qui ne tarde pas à nous inviter chez elle. Nous partageons donc pour quelques heures la vie de cette famille, c'est un formidable voyage dans le temps. Nous mangeons sous le falé, avec nos doigts. La maman de Vala assise sur les grandes nattes qui recouvrent le sol, prépare les coques. Elle retire une partie noire non comestible. Une jeune fille, sœur adoptée s'active à préparer les plats tandis que le grand frère râpe la coco et nourrit les cochons alentours. Je découvre la " coconut cream " ; lait de coco cuit dans une demie coquille. Cette famille nous semble très sympathique, tranquille, nous saluons le grand père qui vit dans une pièce à part et invitons notre famille d'accueil à visiter le Steve, ce qui semble leur faire très plaisir.

    Départ de Matautu bay le 11 vers 14h après avoir reçu nos amis. La maman et la tante seraient bien venues aussi à bord mais étant trop fortes, le frère de Vala n'a pas voulu risquer le canot. Pour ma part je pense que la planche de l'annexe n'aurait pas résisté, elles ont donc attendu les enfants sur la plage. La navigation est calme je répare pour la énième fois le petit pilote et nous finissons au moteur.

 

 

    Le 12 avril à 7h du matin je remets les voiles nous sommes à 5 milles au NO d'Asa'u. Hier soir il était trop tard pour entrer dans le lagon donc nous avons dérivé toute la nuit. Une petite brise thermique souffle d'est la mer est calme ça me rappelle les navigations en Méditerranée. Il fait super beau. Hans m'avait prévenu : l'entrée de Asa'u est dangereuse!! Tom, un américain rencontré à Nukunonu et Apia, est à l'intérieur du lagon. Je ne comprends pas le marquage, il m'avait dit qu'il y avait un alignement mais les marques sont à terre et loin de l'entrée. Je vois 2 piquets sur le récif, un endroit semble calme la houle déferle loin de chaque côté, je m'engage très prudemment et bien entendu, juste là, le sondeur électronique me lâche. Il y a un mauvais contact que je n'arrive pas à déceler ! L'eau un peu trouble me trompe sur l'appréhension de la profondeur et nous talonnons tout en douceur dans du sable. Comme il y a un peu de houle le Steve est posé, pousser par le travers vers la terre meurtrière. Il penche dangereusement dans le creux des vagues. Sueurs froides en imaginant le pire, cri de Jessica que j'envoie sans courtoisie se recoucher... que faire ? Aller poser une ancre avec l'annexe ? Que fait la marée ? J'essaye de faire demi-tour, j'appelle Tom sur le 16 sachant qu'il laisse toujours sa VHF allumée, pas de réponse. L'eau arrive au rail de fargue, impossible de tourner, j'embraye la marche arrière, attends et, au bonheur ! Porté dans le haut de la houle le Steve recule, puis se repose, " allez mon petit tu vas pas rester là non ! " Je l'encourage dans ma tête... et finalement nous sortons de cette fausse passe. Tom arrive avec son super dinghy et nous guide à travers la vraie passe. Elle est étroite, creusé à 7 m de profondeur, de biais par rapport aux vagues qui déferlent partout. C'est l'un des meilleurs spot de surf de l'île. Une fois à l'intérieur on est très très bien ! Nous restons 5 jours le temps de visiter un peu, voir les cascades et d'autres lagons de l'île, de faire une grande lessive au lavoir du village et d'admirer les superbes couchés de soleil...

Asa'u Niuatoputapu (u se prononce ou!!)

        Nous naviguons par vent de travers depuis 2 jours, je laisse l'île de Tafai, aux formes volcaniques parfaites, sur tribord et entre sans difficulté dans le lagon de Niuatoputapu le 19 avril vers 14h. Enfin le 19 pour vous tous occidentaux ! Mais en fait c'est le 20 aux Tonga ! Donc vendredi. En passant près d'un espèce de hangar en tôle ondulée, le groupe d'hommes assis par terre en train de boire du Kawa nous invite. Nous faisons ainsi connaissance avec le chef du village et Maloni, l'un des jeunes. Après deux, trois bols, on reprend notre promenade dans le village tout heureux et pas pressés de faire les papiers. Les autorités locales, représentées par le docteur de l'île, nous tombent dessus en fin d'après midi. Où nous croyons-nous ! Il y a aussi des règles ici et l'on doit retourner au bateau, puis l'amener au quai pour inspection, douanier, immigration, agriculture, ils sont tous là. Le douanier en profite pour nous taxer de 20 dollars supplémentaires pour dépassement des heures de travail ! Nous étions le premier bateau depuis 8 mois, et finalement malgré la chaleur et l'heure tardive, on sent que tout le monde est content de nous voir.

Ce village est très calme et comme oublié du monde, il n'y a pas d'électricité. Des feux font office d'éclairage publique. Un bateau le ravitaille tous les 4 ou 5 mois, lorsqu'il n'est pas en retard. Il n'y a par exemple plus de sucre sur toute l'île depuis quelques semaines. Un après-midi, nous invitons Maloni pour une partie de pêche. A l'extérieur du lagon je trouve de beaux mérous. Et un trou de plus dans le dinghy ! En y remontant le poisson sa dorsale ne manque pas le boudin du Zodiac. Maloni est très heureux avec mes prises, il nous donne en échange des oranges, papayes et bananes.

Niuatoputapu Vava'u group

Lundi 23 nous sortons de notre lagon vers 18h, aux couleurs du couchant. Je fais du moteur pour remonter vers l'est, entre les 2 îles, et passer Niuatoputapu au vent. 19h30 navigation au prés sous petit pilote, j'écoute Brassens tout va bien dans le meilleur des mondes possibles ! Des orages arrivent avec la nuit noire, je coupe tous les feux et l'équipement électrique. Juste avant que la foudre ne tombe, des lueurs bleutées inquiétantes se créent aux extrémités des objets sur le bateau. La tête de mat est comme éclairée, la canne à pêche aussi et même ses anneaux. Jessica est à l'intérieur, je rabats la capuche de mon ciré et flippe en silence tachant de barrer au mieux. Je compte les secondes entre l'éclair et le tonnerre et me rassure avec les statistiques. Je garde les pieds joints, histoire de rester sur le même potentiel au cas où... c'est marrant de sentir le climat changer lorsqu'on descend au sud il fait plus frais. Le vent a tourné au sud-est je navigue maintenant au prés et arrive malgré tout sous le vent de Vava'u. nous passons la journée du 25 a tirer des bords, ca me rappelle les régates. Les orages ont cessé et une bonne brise, sous un ciel dégagé, nous fait face.

     Nous arrivons juste au soleil couchant à port refuge, un mouillage dit "de jour" sur la carte où je pense à tort passer la nuit.  La côte et le mouillage sont dangereux, et finalement dériver sous le vent de l'île me semble plus sage même si c'est moins confortable. Il fait nuit noire et je ne préfère pas entrer dans ce labyrinthe. Au pied des falaises la mer est calme. L'origine de ces îles est volcanique, mais leurs formes sont inhabituelles ; imaginez un plateau de 100m d'altitude, recouvert de végétation, coupé par des bras de mer qui serpentent à l'intérieur. Là où la mer est entrée il y a entre 80 et 100 m d'eau. Il me faut une bonne heure pour rejoindre la ville Neiafu, le Steve n'est jamais entré aussi loin au cœur de la terre. Il y a plein de petites îles, des criques et des plages paradisiaques, mais il est tard, je suis en retard pour l'envoi de cette gazette, nos aventures dans Vava'u group seront donc dans le prochain numéro. Merci d'avoir lu mon récit jusqu'à ces lignes et sachez que toutes les critiques, questions ou commentaires seront toujours les bienvenus. Amis du soir bonsoir !