La Gazette du STEVE

Par Laurent LHERMITTE. Septembre/Octobre 1998

Mon but est essentiellement de voyager, de découvrir des pays, leurs habitants, leurs cultures. L’objectif de ce mensuel est de vous informer et ainsi de partager mon vécu avec tous ceux qui restent à terre et que cela intéresse.

Historique.

Il m’est impossible de dater l’époque au cours de laquelle est venue pour moi cette envie de naviguer, elle remonte peut-être au temps des cures à La Bourboule où je jouais dans les torrents avec un petit bateau à moteur. En revanche, l’histoire qui va suivre débute un soir devant l’ascenseur de notre petit appartement à Juan-les-Pins, il y a environ 2 ans. Je regardais mes pieds, fatigué par une journée de travail : rien de plus banal. J’avais une superbe paire de chaussures " Timberland " pour le bateau, et je me suis dit : " Un jour je marcherai avec sur l’île de Nouméa ! " Etant donné que du côté des mutations rien ne se concrétisait et que les pauvres chaussures s’usaient, pendant la montée de l’ascenseur je pensais : îles, bateau, voilier... Le pas était fait : j ’irai à Nouméa en voilier avec ces chaussures là.

Cela faisait bien longtemps que j’économisais pour acheter un voilier et le 1er juin 1997 je fis l’acquisition de cette demeure fabuleuse, capable de se mouvoir : le STEVE. Le voyage a finalement déjà commencé à cette date. J’ai simplement fait une escale d’un an sur la côte d’Azur du côté bétonné entre Nice et Cannes, l’hiver au port et l’été au mouillage : cette vie m’enchantait ! Même si je devais rentrer à la nage les soirs où j’oubliais les clés de l’annexe…

Le Steve.

C’est un voilier, d’une longueur de 13 mètres environ, pour 3,80 de large. Il a été  construit par Jean-Pierre, un menuisier très courageux et méticuleux, qui, tout en travaillant, l’a réalisé de 1979 à 1983. La coque est en contreplaqué marine, les membrures ainsi que les aménagements intérieurs sont en acajou massif. Le gréement est classique, il y a un seul mât en aluminium et haut de 13 m. Une des originalités du Steve est d’avoir 2 génois (voile d’avant) sur enrouleur. Le premier, tout à l’avant, est léger pour le petit temps ; l’autre plus lourd est prévu pour des vents de 15 à 50 Nœuds. Les enrouleurs permettent de réduire la surface de la voile, voire de l’enrouler complètement au fur à mesure que le vent forcit. Sans ce système, il est beaucoup plus difficile de naviguer seul. Le bateau est également bien équipé en électronique, en matériel de sécurité, mais de toute façon vous le découvrirez dans mes récits.

Le projet.

J’aimerais arriver jusqu’en Nouvelle Calédonie. Si la navigation me plaît toujours et si les finances le permettent, il s’agirait de revenir en France par une route Est (océan Indien, mer rouge, …).

Pour la traversée de l’Atlantique, accompagné de mon frère Michel et mon ami Jean-Charles, nous prendrons la route classique des alizés (ainsi sont nommés les vents qui s’établissent en hiver) : Gibraltar, les Canaries, les îles du Cap vert, la Guyane, puis les Antilles, le Venezuela, Panama, les Galápagos, et enfin les îles polynésiennes … Mais d’ici là, suivant les vents et courants bien des choses peuvent arriver et l’itinéraire peut évoluer.

Combien ça coûte ?

Un voilier, un voyage, c’est cher, très cher... J’en parlerai plus tard. Ce journal, comme vous êtes une centaine à le recevoir, représente environ un coût de 300 Fr. Ce coût n’est pas excessivement onéreux et le plaisir d’offrir à chacun la possibilité de me lire les vaut bien ! Mais pour moi 300 Fr. = 6 jours de nourriture... 6 jours de voyage supplémentaires, 6 jours de découverte. Pour cette raison une toute petite participation, au minimum le prix des 12 timbres, serait la bienvenue. La caisse de bord est en fait mon compte CCP numéro 473582 U PARIS.

La première réaction de certaines personnes lorsque j’ai parlé de ce journal a été de dire :- " Mais les gens s’en moquent de tes aventures... "
- " Ah bon, tu crois. ", répondis-je déçu. J’espère que le nombre de vos réponses ne leur donnera pas raison...

Remerciements.

Je tiens à remercier ma famille, tous ceux qui m’ont aidé depuis tout petit à remplir le carnet de caisse d’épargne !! Ma compagne, les amis et toutes les personnes sans qui ce voyage n’aurait pas pu se concrétiser.

Un peu de vécu :L’Olivette - La Rague - Calpe.

La vie au mouillage.

Pour vivre au mouillage sur un bateau la première des choses à faire est un solide ancrage au fond de l’eau. J’avais à l’abri de l’Olivette 2 ancres d’environ 30 Kg et 60 m de chaîne. La profondeur n’était que de 4 -5 mètres, de violents coups de vent pouvaient se lever très rapidement entraînant des vagues qui inlassablement tirent sur la chaîne. Pour éviter de détériorer le bateau, il faut écouter les prévisions météorologiques et ne pas hésiter, si le vent se lève, à rentrer au port ! Même s’il est 3h du matin….Ah l’Olivette ! C’est un petit coin magnifique du cap d’Antibes, avec quelques pontons pour amarrer des pointus. Le cachet d’antan est conservé grâce à une association, et sous le figuier, sur le banc se content des histoires dignes de Marcel Pagnol. Nous avons vu quelques inconvénients de la vie sur un bateau mais chaque mode de vie à ses défauts et avantages. Les " sardinades "  sur la plage, piquer une tête après une journée de travail, c’est génial. Le matin l’eau est très claire, les particules en suspension se déposent durant la nuit, on peut donc nager avec les poissons, les nourrir d’un bout de pain dur. Les petits sars peuvent venir manger jusque dans votre main.

L’étape : La Rague Calpé en solitaire.

 

    Super génial !!! Fantastique. Que d’émotions de stress et de joies ! J’ai ressenti également l’ennui, la solitude, la fatigue…Le lundi soir s’était très émouvant de quitter la Rague, les îles de Lérins. En pénétrant de plus en plus dans la nuit, se dire qu’on ne reviendra peut être pas dans cet endroit où j’ai vécu plein de moments sympas. La météo était bonne, une petite brise d’Est s’établit au cours de la nuit. Le bateau grâce au pilote automatique fonctionnait seul, c’était donc le moment de dormir un peu. J’ai somnolé par tranche de 30 min. à l’intérieur, d’instinct je me réveillais avant que le réveil ne sonne, avec une sueur froide dans le dos : je venais de voir le Steve heurter un cargo ou un caillou. L’eau dans le bateau levait les planchés, l’horreur, le cauchemar. Au début c’est toujours un peu stressant de naviguer seul, par la suite on s’habitue. Et puis j’ai préféré m’assoupir dehors dans le cockpit, sous les étoiles les rêves étaient plus doux. La joie : avec un bon vent le Steve file, son étrave fend les vagues avec un bruit d’écume, on se sent libre, en fait je me sentais bien.

Arrivé à Marseille tout se déroule comme prévu, le bateau est homologué en 1ère catégorie. Je fais quelques courses, la météo est favorable, cap au Sud. Les deux premier jours sont formidables, je sens la température monter, plus besoin de grosse veste de quart. Je pêche un thon blanc, on frise les 6 nœuds de moyenne. Si cela continu j’arriverai Samedi. Manque de chance juste derrière Minorque le vent tombe. La houle vient du Sud Ouest et finit d’arrêter le bateau. Je me fais un peu brasser, obligé d’affaler les voiles qui battent. Il faut attendre, mettre un peu de moteur, hisser les voiles plein d’espoir. Et 5 minutes après affaler de nouveau ! Finalement le vent s’établit au Sud Ouest, là il faut tirer des bords pour remonter au vent. Le bateau tape un peu dans les vagues, c’est fatiguant. Je mets le cap sur Ibiza pour attendre que le vent tourne. Toute la nuit je tire des bords pour longer la cote Est d’Ibiza, plus question de dormir : il faut barrer et manger. A l’annonce du mauvais temps je prépare toujours plein de trucs à grignoter. A l’aube je découvre le port d’Ibiza. Après un bon repas, quelques heures de sommeil profond et sans rêve, je reprends la mer. En fait, je m’ennuyais tout seul à terre. Il faut encore tirer des bords. Heureusement dans la nuit le vent tourne au Sud, cela fait trois jours que mes parents m’attendent à Calpé.